La trilogie Taishō occupe une place atypique dans la filmographie de Suzuki. Ceux qui connaissent ses polars secs de 90 minutes risquent fort d’être surpris face à ces échappées colorées et baroques, cette emprise du songe qu’on n’aurait jamais imaginée de sa part. En fait, la très courte ère Taishō (1912-1926) constitue un moment très particulier dans l’Histoire du Japon. Elle suit directement l’ère Meiji, marquée à la fois par un regain de liberté et d’ouverture sur le monde mais portée aussi par une profonde vague contestataire. C’est en cette période que commence à émerger un fascinant mouvement artistique, l’Ero Guro, qui explosera véritablement à l’ère Shōwa (1926-1989). Si cette esthétique trouve ses origines bien avant, ne serait-ce que dans certaines estampes érotiques d’Hokusai, comme Le Rêve de la Femme du Pêcheur et ses pieuvres lubriques, il va s’étendre à tous les arts (et à l’artisanat): théâtre, littérature, danse… et cinéma, le parangon restant le Horrors of Malformed Men de Teruo Ishii. En matière de manga, le représentant le plus radical est sans aucun doute le génial Suehiro Maruo.
En 1980, après une décennie de mise à l’écart, le trop libre Suzuki, qui avait été blacklisté par la Nikkatsu pour des films «qui ne faisaient pas d’argent et n’avaient aucun sens» revient aux affaires avec la volonté de faire « revivre » l’esprit original Taishō sous la forme d’un triptyque qu’il envisage quasiment à la manière d’une installation d’art contemporain. À ce titre, son producteur, Genjiro Arato, avait fait construire un dôme en forme de sein exclusivement dédié aux projections de cette trilogie. Guidé par le surréalisme, le plaisir de la divagation et de la variation fantasmatique, Suzuki colle ici à la folle exubérance de l’Ero Guro en privilégiant un érotisme et une violence nettement plus suggérés qu’ils ne le seront des années plus tard.. Voici donc la Trilogie Taishō, ultime trésor de Suzuki à l’esthétique inouïe, à découvrir impérativement sur grand écran.
Brumes de chaleur
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