Bruce Le: dans l'ombre de Bruce

Si la mort prématurée de Bruce Lee en 1973 traumatisa le public durablement, elle fut aussi l’occasion pour des business men de trouver le filon d’une Bruceploitation reposant sur des clones du Petit Dragon, dont Bruce Le fut l’un des plus connus.

Né en 1950 d’un père d’origine taiwanaise et d’une mère birmane, Huang Kin Lung étudie la gymnastique et les arts martiaux en Birmanie avant d’être repéré par la Shaw Brothers qui l’engage, le créditant au générique comme «Petit Dragon» en raison de sa légère ressemblance avec l’acteur. Il apparaît notamment dans Super Inframan, réponse hongkongaise aux héros transformateurs des séries Henshin japonaises.

Réduit aux seconds rôles, il quitte la firme pour de plus petits producteurs pour une série de Bruceploitation, entrant ainsi dans l’engrenage de la médiocrité. Figure mythique du Z à travers le monde, le canadien Dick Randell aide au financement des films pour des résultats parfois absurdes, comme ce The Clones of Bruce Lee, méta qui réunit pas moins de quatre « simili-Bruces » au service d’une histoire de savant fou ayant cloné des Bruce Lee à partir de cellules de l’acteur!

Bruce Le va donc énormément tourner, dans des intrigues qui pillent tout autant le cinéma de Hong-Kong que l’espionnage à l’américaine, ne mettant que rarement en valeur ses réels talents martiaux. Même lorsque fort de son succès il monte en 1979 sa société de production Dragon Film et se lance dans la réalisation, c’est toujours dans l’ombre du modèle. Après avoir tenté le film d’aventures internationales, il rencontre le Français André Koob, patron d’Eurogroup qui pense pouvoir l’implanter en France. Hélas la Bruceploitation est déjà moribonde, et Le enchaîne les nanars improbables, à l’image de ce Bruce contre-attaque. En 1992, il cherche à évoluer avec un Catégorie III (interdit au moins de 18 ans) dénonçant la prostitution forcée par l’armée japonaise: Comfort women annonce l’abandon de son nom d’emprunt et sa reconversion vers un cinéma traditionnel, mais, malgré de bonnes critiques, se soldera par un échec. Après des années de silence, où il se reconvertit dans l’immobilier à Hong Kong, il est revenu à la réalisation, en Chine, avec The Eyes of dawn en 2014 et le film Yang Jinyu en 2019. Au-delà des moqueries que suscitent ses films, on ne mesure pas assez combien cette carrière put être douloureuse, créée autour d’un fantôme qu’il ne cessa d’imiter, sans pouvoir malgré son talent y forger sa propre identité.