Carte blanche Jean-Pierre Dionnet

On ne compte plus les multiples casquettes du maître Jean-Pierre Dionnet. Après des débuts à la librairie Futuropolis, cet amoureux du neuvième art participe à diverses revues (Comics 130, Pogo, Phénix) avant d’entrer en 1970 grâce à Philippe Druillet au sein de la mythique revue Pilote. Cinq ans plus tard, il fonde Les Humanoïdes Associés avec Druillet, Moebius et Bernard Farkas, qui lui permet d’éditer ou rééditer bandes dessinées et romans alors invisibles, et de lancer la revue Métal Hurlant. En son sein gravite le meilleur de l’avant-garde de la bande-dessinée et de la contre-culture : Jodorowsky, Enki Bilal, Marc Caro, Gotlib, Margerin, etc… Parallèlement à ses activités, il se tourne vers la télévision avec son comparse Philippe Manoeuvre (dès 1982 avec Les Enfants du rock), puis en solo où il rejoint l’écurie Canal+ et anime de 1987 à 2009 l’émission hebdomadaire Cinéma de Quartier, qui exhume tout un pan oublié du cinéma d’exploitation, mais aussi Quartier interdit, son pendant axé sur le cinéma horrifique. Vers la fin des années 1990, il monte Des Films, société de distribution qui nous fait découvrir certains des meilleurs cinéastes d’Extrême-Orient (Miike, Miyazaki, Kitano, Tsui Hark, Johnnie To, etc…) et produit des films de Fruit Chan (Durian Durian) et Olivier Dahan (Le Petit Poucet). Défricheur passionné, cet ange du bizarre nous fait l’honneur d’ouvrir sa malle aux trésors pour nous présenter quelques merveilles méconnues.

Danger, planète inconnue (Copie neuve)
(Doppelgänger)
Doppelgänger

Une sonde découvre une planète inconnue cachée derrière le Soleil et diamétralement opposée à la Terre. Deux astronautes sont choisis pour explorer ce nouveau territoire, mais la mission ne se passe pas comme prévu...

Avant de vous le proposer je voulais le revoir: c’était le film de science fiction le plus dingue que j’ai vu de ma vie.

Ce n’était pas 2001 dont mon maître d’abord, collègue ensuite, Jacques Goimard, disait qu’en dix ans il en avait fait dix analyses différentes à la Sorbonne et que toutes se tenaient.

Je l’ai revu: ça rendrait presque Alice au pays des merveilles raisonnable: un film de fou.

Il a été produit par Gerry et Sylvia Anderson (alias Lady Penelope) et leurs collaborateurs habituels pour toutes leurs séries utilisant la supermarionation. Célèbres chez nous avec Les Sentinelles de l’Air avec leurs poupées animées, ils écrivaient tout à deux, Sylvia dessinait les costumes et designait les fusées, armes futurs, le mobilier, etc... Même le Japon fut fasciné et un des créateurs du Walkman Sony m’avait dit s’être inspiré de leur vision du futur.

Danger, planète inconnue sera leur seul film avec des acteurs véritables mais ils récidiveront ensuite avec la série télé UFO.

J’ai demandé à Bertrand Tavernier, LE spécialiste de Robert Parrish (dont le dernier film Mississipi Blues fut d’ailleurs co-réalisé à deux mains avec lui) ce que Parrish, enfant d’Hollywood, qui jouait petit dans les films de Ford avant de réaliser deux des meilleurs films de Robert Mitchum : L’aventurier du Rio Grande, et L’Enfer des tropiques (ensuite, il partit en Europe faire une série de films de plus en plus bizarres, dont même un faux western italien en Espagne) – je lui ai donc demandé ce que Parrish pensait de Danger, Planète Inconnue. Il ne l’aimait pas, trouvant les acteurs un peu raides, à commencer par Roy Thinnes, alias David Vincent, dans "Les envahisseurs".

Normal pour des films des Anderson à mon sens. À noter contrario le jeu incroyablement sobre et si court d’Herbert Lom.

Donc : on a découvert qu’il y a, de l’autre côté du soleil, une planète inconnue. Deux astronautes vont s’y rendre et revenir: dès lors rien ne va plus.

Jean-Pierre Dionnet
La peur au ventre
(Running scared)
Running scared

Des flics ripoux tentent de dérober le butin lors d’une transaction de drogue, mais ils sont abattus par les contrebandiers. Au service des trafiquants, Joey est chargé de faire disparaître l’arme qui tua les policiers, permettant d’identifier les assassins. Mais un camarade du fils de Joey dérobe l’arme...

Tous les films que je vous propose datent en gros des années 80, pas celui-ci, qui est sorti en 2006 dans un silence public et critique assourdissant.

La faute à son metteur en scène, le sud-africain Wayne Kramer qui après quatre longs métrages a abandonné la réalisation. Le premier, Lady Chance, Prix du jury à Cognac, était prophétique: il racontait la vie d’un porte poisse que les casinos engageaient pour faire perdre les joueurs. Harrison Ford jouait dans le troisième, et le dernier était un film à sketchs sur un mont de piété.

Le deuxième c’est La peur au ventre , que j’ai vu dans une salle vide, malgré un beau casting: Chazz Palminteri, Cameron Bright et Vera Farmiga...

Mais aussi, dans le rôle principal, Paul Walker, partenaire de Vin Diesel dans la série des Fast and Furious, qui mourut durant le tournage du septième dans un accident automobile et demeura pourtant présent à l’écran, à la façon de Bruce Lee dans le Jeu de la Mort.

C’est un polar frénétique et dérangé, magnifiquement réalisé, superbement monté et joué: avec deux scènes jamais vues : une partie de hockey sur glace en lumière noire et surtout un couple de pédophiles suaves dans leur paradis pour enfants qui fait penser aux 5000 doigts du Dr T.

À L’Étrange je vous en signalerai peut être deux ou trois autres, plus récents, aussi incontournables, tout aussi contournés.

Jean-Pierre Dionnet
La proie nue
(The naked prey)
The naked prey

Lors d’un safari en Afrique, un groupe de chasseurs refuse de faire un don à une tribu malgré l’insistance de leur guide. Les guerriers du village attaquent et torturent alors les chasseurs, et décident d’accorder au guide quelques heures d’avance avant de se lancer à sa poursuite.

Vu à L’Eldorado de Livry-Gargan en "Première Exclusivité".
Ce fut pour moi un choc : Les chasses du comte Zaroff , en VRAI, et pour cause, avec un scénario basé en partie sur l’expédition américaine de Lewis et Clark en terres indiennes, transposée en Afrique du Sud. Un guide de safari, Cornel Wilde, dont la vie bascule: son commanditaire refuse de faire les cadeaux d’usages à la tribu d’indigènes qu’ils croisent. Alors, vexés, ceux-ci tuent tout le reste de l’équipe: on apprend la recette du blanc rôti à la broche en croûte de glaise. Et lui devient la proie qu’ils vont poursuivre dans une nature particulièrement hostile. Le producteur, le metteur en scène, l’acteur principal c’est donc Cornel Wilde, charmant jeune premier qui va, sur le tard, réaliser quelques films, dont le plus sanglant des films de guerre : La plage était rouge.

Un "survival" terrifiant et haletant, parfois égalé mais jamais dépassé depuis en cruauté sadique. Et une Afrique du Sud sans fard, sur la violence des colons qui déclencha celle des indigènes. Juste après Zoulou, tourné quasi en même temps, bien avant L’ultime attaque et Shaka Zulu, on se retrouve dans ce peuple magnifique et guerrier, vainqueur un temps de l’armée britannique, face à un homme seul, désarmé : on n’aimerait pas être à sa place.

Jean-Pierre Dionnet
La vengeance mexicaine (Copie neuve)
(Barbarosa)
Barbarosa

Après avoir tué un voisin par maladresse, un jeune fermier en fuite du nom de Karl Westover fait la rencontre de Barbarosa, lui-même menacé de mort par son beau-père, un riche éleveur mexicain, pour avoir épousé la fille de ce dernier contre sa volonté. Karl et Barbarosa vont s’allier pour survivre à leurs ennemis qui les traquent sans relâche.

Tout le monde connaît Willie Nelson, l’outlaw, le dernier des géants "d’avant" avec Tony Bennett; avec lequel il continue de tourner jusqu’au bout.

On le connaît moins en tant qu’acteur, dans son propre rôle dans Showbus de Jerry Shatzberg, magique dans Le solitaire de Michael Mann, et pas du tout en producteur, entre autres, de La chevauchée fantastique, remake avec Johnny Cash, Waylon Jennings et Kris Kristopherson. Il joue ici Barbarosa, l’homme à la barbe rousse qui initiera au grand banditisme Gary Busey. Si l’histoire vous rappelle quelque chose c’est normal: c’est la même que celle de Capitaine Mystère (Capitain Lightfoot) de William Rilley Burnett qui en tira le scénario du film homonyme de Douglas Sirk, et qui fut furieux du copié collé de Michael Cimino dans Le Canardeur, avec… Gary Busey, mais mourut juste avant la sortie de ce nouvel opus. Willie Nelson, lui, dit s’être inspiré de l’histoire véritable d’un bandit de grand chemin irlandais du début du XIXe siècle.

En tout cas le titre dit bien l’histoire de cette vengeance familiale sanglante où presque tous doivent mourir.

Avec Gilbert Roland, star romantique au temps du muet et du parlant naissant en patriarche quasi biblique.

Mise en scène torride de l’Australien Fred Schepisi qui vient à l’époque de tourner dans le désert australien son deuxième film : ça se voit.

Jean-Pierre Dionnet
Réincarnations
(Dead and buried)
Dead and buried

Après le meurtre atroce d'un photographe mystérieusement brûlé vif, le shériff de la ville de Potter's Bluff, Dan Gillis, secondé par le médecin-légiste, William G. Dobbs, mène l’enquête.

Le plus horrible film d’horreur du monde? Peut-être. Dan O’Bannon, croisé souvent au temps de Métal Hurlant (où il écrira la bande dessinée fondatrice de la SF/Série Noire : The Long Tomorrow , dessinée par Moebius) m’avait dit qu’il voulait écrire un film plus effrayant que les EC Comics... Et il y est arrivé, pour ce film réalisé par Gary Sherman, dont le premier long-métrage, Le métro de la mort, faisait déjà très peur, et qui juste après , avec Descente aux enfers, montrera le pire maquereau (pas le poisson: le proxénète).

O’Bannon a co-écrit le premier Carpenter: Dark Star (1974); puis passé cinq ans sur le Dune avorté de Jodorowski avant d’écrire le scénario d’Alien. Ensuite il aura un succès comme scénariste: "Tonnerre de feu", et réalisera deux bons films: Le retour des morts-vivants qui n’aura pas le succès annoncé et The resurrected, excellent film lovecraftien qui fera un bide, avant d’être emporté par une longue maladie.

Le film est également produit par son confrère Ronald Shusett, qui aura plus de chance, en participant au scénario de Total Recall et à la production de Minority Report.

Nous sommes dans une petite ville californienne de bord de mer où il fait bon vivre, ou plutôt où il fait bon mourir; de la manière la plus horrible possible.

Vous pensez qu’il faut être fou, désespéré, manipulé? Non: pas du tout.

Jean-Pierre Dionnet
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