Carte Blanche Dominik Moll

Né en 1962 à Bühl d’un père allemand et d’une mère française, Dominik Moll grandit à Baden-Baden, commence ses études à l’université de la ville de New York (CUNY) et les poursuit à l’IDHEC où il fera deux rencontres décisives : Laurent Cantet sera, comme lui, assistant réalisateur de Marcel Ophüls sur Veillées d’armes (1994) et fera ensuite appel à lui pour l’assister sur ses deux premiers longs métrages : Les Sanguinaires (1997) et Ressources humaines (1999). Mais son plus fidèle complice et ami reste sans doute Gilles Marchand, avec lequel il partage son goût pour l’étrange et le bizarre au point qu’ils écrivent la quasi totalité de leurs films ensemble.

En guise de coup d’essai, celui qui adolescent rêvait d’être documentariste adapte Bukowski avec The Blanket (1983). Inspiré de Sartre, son premier long métrage Intimité (1994) n’obtient pas le succès escompté. Il attendra six ans avant de repasser derrière la caméra avec Harry, Un ami qui vous veut du bien (2000), succès critique et commercial tel, que son nom lui est encore instantanément associé. Avec un Sergi Lopez terrifiant, psychopathe d’une violence presque ordinaire, Moll marque le thriller français de sa griffe : une propension à faire naître l’épouvante d’une banalité du quotidien qui sécrète ses anomalies. À l’heure de la libération de la parole féminine Harry trouble par son caractère prémonitoire. Moll y révèle une prédisposition à parler des dysfonctionnements du monde par l’entremise du genre, un talent pour entraîner la normalité sur les rives de l’étrange et le cauchemar. Il confirme cet intérêt pour la perturbation jusqu’au chaos avec Lemming (2005). Son amour pour l’art fantastique le conduira à adapter l’un des chefs-d’œuvre du roman noir, l’iconoclaste et blasphématoire Le Moine (2010) de Lewis avec Vincent Cassel dans le rôle-titre. Il réalise également plusieurs séries dont Eden (2019) pour Arte, série chorale sur l’accueil des réfugiés en Europe.

Toujours plus fasciné par les pulsions refoulées et concerné par les failles du système, Moll signe en 2019 Seules les bêtes, thriller étouffant et labyrinthique entre la froideur de la Lozère et la moiteur d’Abidjan, où les ressorts hitchcockiens questionnent la bête intérieure et la misère sexuelle, suivi cette année du magnifique La nuit du 12, porté par un Bouli Lanners bouleversant, hanté par son enquête sur un féminicide.

Au-delà du trouble déstabilisant qu’ils provoquent, les films de Dominik Moll frappent par leur humanisme. Ils portent la marque d’un réalisateur qui nous veut définitivement du bien, comme en témoigne sa carte blanche pointue et éclairée.