Rétrospective Masahiro Shinoda

Chef de file avec Nagisa Oshima et Yoshishige Yoshida de la Nouvelle Vague japonaise, Masahiro Shinoda naît le 9 Mars 1931 à Gifu. Adolescent durant la guerre, il a quatorze ans quand le Japon capitule. Après avoir étudié le théâtre à l’université Waseda, il rentre à la Shōchiku et devient assistant réalisateur, notamment pour Ozu sur Crépuscule à Tokyo (1952). Il réalise très rapidement un premier film en 1960 dont il écrit le scénario, Un aller simple pour l’amour, s’inscrivant dans la vague des Tayio, genre initié par l’écrivain Shintarô Ishihara, mettant en scène ces jeunes désœuvrés de la « tribu du soleil » ballottés entre sexe et violence. On y suit un jeune saxophoniste et une danseuse tentant de faire carrière. La même année, il poursuit dans cette veine en travaillant avec le futur chantre de la contre-culture nippone issu lui aussi de l’université Waseda, Shûji Terayama, qui signera six de ses scénarios loin des poncifs attendus, plongeant dans un climat désenchanté proche du nihilisme, dans lequel émerge un appel à la rébellion politique. Partant, dans Mon visage embrasé au soleil couchant (1961) le regard critique sur l’américanisation du Japon contamine l’inspiration pop. Le héros des Larmes sur la crinière du lion hurlant sa rage dans sa musique ira aussi dans ce sens. Shinoda entame également dès 1961 une collaboration avec le génial compositeur Torû Takemitsu, qui signera la quasi totalité de ses musiques. Ses partitions hantent son cinéma, lui donnent l’allure de symphonies inquiètes, presque surréelles. C’est en 1964 qu’il dynamite le yakuza eiga avec un de ses chefs-d’œuvre, Fleur Pâle, débarrassant le genre de ses postures, et métamorphosant un scénario archétypique en dérive existentielle déchirante, ce qui déclenchera la colère de son scénariste. Il opère avec Assassinat une relecture percutante du drame à costumes (jidai-geki), développe ses désirs d’expérimentations avec son adaptation géniale d’une pièce de théâtre de marionnettes et de kabuki Double suicide à Amijima (1969), sommet de son œuvre avec des acteurs manipulés comme des poupées. Cet amour du théâtre – et du monde vu comme un théâtre – parcourt l’œuvre de Shinoda, comme en témoignent Les Aventures de Buraikan (1970) ou le fascinant Étang du Démon (1979) avec ses comédiens travestis ou grimés en monstres. En 1971, quarante-cinq ans avant Martin Scorsese, Shinoda adapte Silence de l’écrivain japonais chrétien Shûsaku Endô, sur la persécution des Jésuites au Japon au 17e siècle. Il quitte la Shōchiku en 1965 pour fonder sa propre société de production. Devenue son épouse en 1967, l’immense actrice Shima Iwashita (Harakiri, Le Goût du Saké) occupe une place fondamentale dans son œuvre, la peuplant d’héroïnes inoubliables, à l’instar de la magnifique Orine. À partir de 1970, il travaille également pour la Toho, jusqu’en 2003 où il prend sa retraite, avec Spy Sorge, biopic d’espionnage de trois heures. Un peu à la manière d’un Kurosawa sur Rhapsodie en août, comme une urgence autobiographique, il traite des souvenirs traumatiques de la guerre, par le biais des yeux des enfants (Les Enfants de Mac Arthur, 1984, Jours d’Enfance, 1990). Si son cinéma semble s’être quelque peu assagi dans les années 90, Shinoda reste toujours capable de surprendre comme le démontre Owls’ Castle (1999), adaptation trépidante d’un classique de la littérature de… ninjas. Shinoda frappe par son éclectisme et sa propension à s’emparer des genres pour imposer sa position politique et philosophique, en faveur des marginaux, des pauvres, des rejetés. L’enfer de la condition humaine pourrait servir de fil rouge à son œuvre où affleurent souvent désespoir et tragédie. Son formalisme sert une esthétique expressionniste et sensorielle du visage, du regard et du geste. Dès lors qu’on a croisé les yeux de Saeko dans Fleur Pâle, comment les oublier ?

"À 91 ans, je viens d’apprendre que L’Étrange Festival organisait une rétrospective spéciale de mes films. Cette nouvelle qui arrive à la fin de ma vie, à plus de 90 ans, me va droit au cœur. Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à l’équipe du festival pour s’être souvenue de moi.
Je suis très heureux que mon cinéma puisse rencontrer un nouveau public en France et je souhaite au festival le plus grand succès."
MASAHIRO SHINODA