Carte blanche Kirill Serebrennikov

Né en 1969 à Rostov-sur-le-Don (Russie occidentale), d’un médecin russe et d’une enseignante ukrainienne en langue et littérature russes, Kirill Serebrennikov poursuit brillamment des études de physique. Dès avant l’obtention de son diplôme, il s’intéresse à l’art dramatique et met en scène des pièces dans des théâtres amateurs d’abord, puis plus renommés à partir des années 90. Parallèlement, il réalise pour la télé des documentaires, clips, publicités et émissions, obtenant plusieurs prix. Après sa nomination en 2012, en tant que directeur du Théâtre Gogol de Moscou, il annonce son projet de renouveler le domaine, créant le Centre Gogol en 2013, lieu culturel bouillonnant, accueillant concerts, projections et conférences.

Insurgé permanent, Kirill Serebrennikov crie son indignation, contre la corruption politique, contre la guerre, milite en faveur des droits LGBT, ainsi que pour la libération de la juriste Svetlana Bakhmina et des Pussy Riot. Il vit pour cet art libre et subversif dont le génial et terrifiant Le disciple (2016) reste l’exemple parfait. Raconter la crise mystique d’un adolescent lui permet d’y mettre en miroir les fonctionnements du fanatisme religieux et ceux d’un pouvoir dictatorial. 2017 marque la consécration mondiale du cinéaste, avec Leto sur le chanteur Viktor Tsoi, leader du groupe russe Kino dans les années 70-80. Il bouleverse les règles du biopic dans un style libre et digressif qui cherche à épouser l’esprit punk de son héros. Impliqué dans une affaire de détournement de fond publics (l’affaire du Septième Studio), emprisonné, puis assigné à résidence pendant deux ans, le cinéaste ne pourra pas se rendre à la présentation du film à Cannes. Quand le pouvoir russe veut condamner une voix dissidente, il fabrique des coupables. Le cinéaste devient à travers le monde une figure symbolique de l’oppression des intellectuels russes.

Toujours assigné en résidence en Russie, il mettra en scène à distance à Vienne Parsifal, dans une lecture métaphorique saisissante. Quand il ne participe pas à des créations contemporaines, il revisite les classiques du théâtre et de l’opéra dans une résonance parfois funèbre, reflet de l’époque et de la tragédie de la Russie. Ses films se font de plus en plus survoltés et fous, comme en témoignent l’hallucinatoire La fièvre de Petrov, ou le bouleversant requiem La Femme de Tchaikovski.

Depuis son départ de Russie, au tout début de la guerre d’Ukraine, Kirill Serebrennikov confirme sa stature d’artiste multidisciplinaire hyperactif. Après Le Moine Noir (tiré d’une nouvelle de Tchekhov), joué en ouverture du Festival d’Avignon en 2022, puis au Châtelet en 2023, il présentera son Lohengrin le 23 septembre de cette année à l’Opéra National de Paris. Nous attendons également ses deux prochains films qui adaptent les romans Limonov (Emmanuel Carrère) et La Disparition de Josef Mengele (Olivier Guez).